La loi de Moore dans les Technologies de l’Information: structure et dynamique

par Jean-Luc Dormoy

La loi de Moore est ainsi appelée en référence à Gordon Moore, qui fut un des fondateurs d’Intel, et qui a publié en 1965 dans Electronics Magazine un papier resté fameux.  Celui-ci décrit et appelle à une organisation innovante des cycles d’innovation de l’industrie électronique en expansion.

Aujourd’hui, l’énoncé le plus connu de la loi de Moore est que le nombre de transistors par unité de surface sur les circuits électroniques à base de silicium double tous les 18 mois à coût constant. Comme la puissance de calcul brute ainsi disponible est liée à ce nombre de transistors, on considère aussi que la puissance de calcul disponible par dollar double tous les 18 mois. Ou, de façon duale, qu’une même puissance de calcul voit son coût divisé par deux tous les 18 mois. La nature exponentielle de ce processus cause un effondrement des prix ainsi qu’une augmentation massive de la puissance de calcul disponible.

C’est cette « loi » qui a donné naissance à la formidable expansion des technologies de l’information et de leurs applications dans tous les domaines de la vie. Le terme de « loi » est approprié au sentiment que cette expansion est « naturelle », que les progrès nous y sont « dus ». Il est ainsi devenu de sens commun que les composants électroniques baissent de prix et que les services deviennent gratuits, que l’on peut accéder à l’ensemble de l’information ou de la connaissance d’un coup de clic, ou à un inconnu à l’autre bout du monde vite devenu un ami, alors qu’on n’a jamais vu son voisin. Cela est particulièrement en contraste si l’on s’y arrête un instant avec cet autre sentiment commun aux sociétés développées de blocage voire de régression dans beaucoup d’autres aspects de la vie.

Pour autant, de loi naturelle il n’y a point, il s’agit d’un complexe technico financier d’un type nouveau, qu’il convient d’analyser en détail. Nous croyons, et c’est ce que nous voulons approfondir dans ce blog, que si nous parvenons à en comprendre les ressorts, à l’abstraire, puis à l’appliquer dans d’autres domaines, nous aurons une méthode sinon mécanique du moins pensée pour systématiser dans une certaine mesure l’innovation et la créativité. Lecteur, ne vous arrêtez pas à l’oxymore apparent, prenez le temps du petit voyage auquel nous vous convions.

Si cela s’avère exact, si la loi de Moore n’est pas une exception heureuse, alors cela signifie que nous avons un guide à l’allocation de ressources en capital financier et humain dans le sens de l’innovation et de la création de marchés (concrets, dans l’économie réelle) nouveaux. On imagine l’importance d’une telle affirmation face aux errances actuelles. En outre une loi entraîne une certaine capacité de prédiction, et donc de maîtrise. Nous y revenons dans d’autres posts.

La loi de Moore repose sur la combinaison d’un petit nombre de facteurs :

  1. Il s’agit fondamentalement d’une forme particulière de cycles économiques et financiers, où une promesse d’évolution de la technologie des plates-formes de calcul et d’exécution des logiciels et services est annoncée via une « roadmap » donnant les échéances de façon très précise;
  2. Cette promesse est crue par ceux qui vont utiliser ces capacités nouvelles pour créer les nouveaux logiciels et services, éventuellement dans des domaines d’application totalement nouveaux; mais ils vont le faire en avance de phase, sur la base de la promesse, sans attendre que les plates-formes concernées soient disponibles;
  3. En conséquence les investissements consentis à la fois sur la technologie de calcul et sur les logiciels et services sont synchronisés, et permettent ensemble l’ouverture de nouveaux marchés;
  4. Ce découpage en deux versants de la loi de Moore, technologie de calcul d’un côté et service applicatif de l’autre, repose sur le concept de calculateur universel. Ce calculateur est une machine tout à fait concrète, mais avec la propriété d’adopter le comportement de n’importe quelle machine, pourvu que lui soit fourni un texte décrivant le comportement de cette machine particulière : son logiciel; la machine universelle de par cette propriété est appelée computer, ou ordinateur, ou processeur, ou serveur, ou PC, … selon le point de vue, l’adaptation à un usage ou la variation de conception. Ce concept repose sur une découverte d’un niveau fondamental faite dans les années 1930 à partir de questions de fondement des mathématiques;
  5. La réalisation de la promesse de la loi de Moore à chaque étape revient donc à améliorer la technologie et les moyens de production des calculateurs universels – aujourd’hui des processeurs basés sur une technologie silicium – tout en s’autorisant à avoir une production de masse d’un petit nombre d’objets, ce qui simplifie considérablement le problème complexe de la conception, et permet la baisse des coûts;
  6. Et du côté service à savoir comment utiliser ces nouvelles ressources, fondamentalement en terme de nombre de transistors par unité de surface; cela va de déterminer quel circuit peut utiliser intelligemment ces nouvelles ressources potentielles et le concevoir, à la sociologie du web et de ses utilisateurs; soit un domaine vaste qui s’élargit en permanence à tous les domaines de la société humaine;
  7. La notion de calculateur s’est étendue en notion de plate-forme de calcul et de traitement de l’information, y incluant les réseaux qui permettent de disséminer des calculateurs et de les faire travailler ensemble, et de moyens d’interaction, à la fois avec les êtres humains (écrans, claviers, souris, caméras, moyens auditifs, tactiles, etc.) et avec le monde physique (capteurs et actionneurs de toutes sortes). Toutes ces fonctions de communication et d’interaction, elles-mêmes générales, utilisent des calculateurs et bénéficient des progrès de la loi de Moore : leurs propres progrès en sont en partie la conséquence. On peut ainsi parler d’infrastructure, généralisant la notion première de calculateur et étendant sa propriété d’universalité, et de service, constitué fondamentalement de logiciel. La loi de Moore se traduit donc aujourd’hui sous des formes variées et à des échelles allant de systèmes extrêmement miniaturisés enchâssés dans des objets ordinaires, à l’Internet couvrant la planète;
  8. Point crucial : le marché achète les services, ce qui constitue in fine la seule justification de l’infrastructure sous-jacente. La façon de payer pour ces services et l’infrastructure varie selon les domaines, l’histoire, etc. L’important est de conserver une relation de causalité du progrès de l’infrastructure vers la définition de nouveaux services, au risque sinon de casser le cycle financier vertueux de la loi de Moore.

Les posts qui suivent expliquent et détaillent chacun de ces points. Nous commençons par le point 4, qui est le point fondamental expliquant et permettant le découpage en deux versants de la loi de Moore (infrastructure et services), et fournit la base à son mécanisme financier.

Soulignons tout de suite que la décision d’allocation des ressources que comporte la Loi de Moore est extrêmement informée sur les possibilités technologiques, et doit donc être faite à l’opposé de considérations de « généralistes de la finance ». Ce n’est pas le seul aspect qui place la Loi de Moore en contradiction avec le finance « méta économique » d’aujourd’hui.

Gordon Moore. Cramming more components onto integrated circuits. Electronics Magazine, 19 April 1965.

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Moore’s Law and the Future of [Technology] Economy de Jean-Luc Dormoy est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage à l’Identique 3.0 non transposé.
Basé(e) sur une oeuvre à mooreslawblog.com.