Les perspectives de poursuite de la Loi de Moore

par Jean-Luc Dormoy

On a souvent évoqué la « fin de la loi de Moore ». Comme Gordon Moore l’a lui même indiqué, cette fin est certaine, car un processus exponentiel ne saurait continuer indéfiniment, sinon à absorber en un temps fini toutes les ressources disponibles ! Mais on peut en même temps être sceptique sur les causes « physiques » d’arrêt de la loi de Moore, c’est-à-dire relevant purement du premier versant.

Une puce de la société ATMEL

Une puce de la société ATMEL

La version de 2009 de l’ITRS distingue deux périodes pour l’avenir : avant 2017, et après. Le niveau d’incertitude est évidemment différent sur ces deux horizons temporels.

Le CMOS actuel n’est pas fondamentalement remis en cause avant 2017, la loi de Moore devrait donc continuer dans un style « business as usual ». Par contre après 2017, ou probablement un peu plus tard (2019 ? 2021 ?) il va falloir un changement important dans la formulation même de la loi de Moore, il ne sera en effet plus possible d’accumuler des transistors plus petits, on sera aux limites physiques de miniaturisation : les limites atomiques. Nous ne pourrons pas faire des transistors de taille plus petite qu’un atome[1] !

Une des possibilités pour que la loi de Moore puisse continuer sans rupture trop fondamentale est d’utiliser la troisième dimension. On le fait déjà aujourd’hui de façon pratique en empilant les circuits 2D de façon mutuellement cohérente dans des SiP. Demain des approches plus radicales seront possibles, n’en doutons pas. Les chercheurs ont de nombreuses idées de pistes.

L’autre pilier de la poursuite de la loi de Moore est la capacité de produire les composants miniaturisés en masse à des coûts rapportés à la surface constants. Nous l’avons mentionné, une « fab » d’aujourd’hui coûte pour les plus récentes, et donc celles à la limite de progression de la loi de Moore, autour de 3 milliards de dollars. Certains entrevoient dans les étapes ultimes de la loi de Moore sur le support silicium, autour de 12 nm ou moins, des fabs coûtant jusqu’à 20 milliards de dollars.  On imagine l’enjeu stratégique et industriel face à une telle situation. Il est probable qu’aucune de ces usines ne soit en Europe.

On a donc là un autre défi à la poursuite technologique de la loi de Moore : il va falloir abaisser les coûts constants des usines de fabrication de composants. Cela impliquera probablement des changements radicaux sur ce dont les circuits actuels sont faits.

Ray Kurzweil, le futurologue promoteur de la singularité, a mentionné que le calcul s’était déjà appuyé sur 5 technologiques depuis ses débuts : la mécanographie, les relais électromagnétiques, les tubes à vide, les semi-conducteurs discrets, les circuits intégrés. On peut donc être optimiste sur l’inventivité humaine, surtout dans ce domaine disposant désormais de moyens financiers et humains considérables.

Les menaces d’arrêt de la loi de Moore sont peut-être moins à chercher sur le premier versant que sur le second. En effet, si la fin de l’exponentielle n’est pas causée par la capacité de produire les objets la mettant en œuvre, elle peut venir de la capacité de les utiliser. Elle serait alors à chercher du côté du financement in fine de tous ces développements, c’est-à-dire des marchés de services. C’est lui qui ne serait pas extensible à l’infini, du moins dans le cadre de l’économie classique.

Un wafer gravé en 45 nm

Un wafer gravé en 45 nm

Nous examinons ces questions dans la seconde partie du livre, pour l’heure il faut nous pencher sur ce second versant pour voir de quoi il est fait et comment il s’est hypertrophié pour devenir foisonnant et pénétrer tous les aspects de la vie.


[1] Méfions-nous cependant de l’inventivité des chercheurs et ingénieurs.

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Moore’s Law and the Future of [Technology] Economy de Jean-Luc Dormoy est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage à l’Identique 3.0 non transposé.
Basé(e) sur une oeuvre à mooreslawblog.com.