Le statut et l’importance des services logiciels [3] : la logiciélisation, tendance économique de fond
par Jean-Luc Dormoy
Pour revenir (brusquement !) de ces discussions aux origines à ce que nous avons constaté depuis Turing sur le plan économique, nous voyons également sur ce plan une prise d’indépendance, et une importance croissante du logiciel. Une partie grandissante de la valeur est dans le logiciel, cette « chose » immatérielle, et c’est désormais une industrie qui s’en occupe.
Nous l’avons déjà vu dans la première partie du second versant, consacrée à l’infrastructure : celle-ci tend dans un domaine et écosystème donnés à se complexifier, notamment par l’hypertrophie de couches et outils logiciels d’infrastructure.
Mais c’est encore plus vrai du côté des services. Les chiffres sur les marchés le montrent. On peut le comprendre à partir de l’analyse qui a été faite de l’évolution des infrastructures dans chaque domaine : à partir de la plate-forme semi ouverte, pratiquement tout nouveau service est ajouté sous forme logicielle. A partir du stade de la plate-forme ouverte, cela est fait en outre par virtuellement tout développeur dans le monde souhaitant le faire. Si la plate-forme s’ouvre à l’utilisateur, tout être humain peut le faire.
On doit avoir aujourd’hui dans le monde de l’ordre de 20 millions de développeurs professionnels. Sans disposer des chiffres séparant infrastructure et service, il est évident que le plupart travaillent sur le volet service.
Le monde des technologies de l’information où nous vivons, et surtout celui avec lequel le public non informaticien est en contact, est donc un monde de service logiciel. Cela est mâtiné avec les systèmes embarqués, l’amélioration de la technologie des capteurs et des actionneurs, et sous une forme ou une autre avec la robotique, de systèmes d’interaction avec le monde physique et les personnes humaines. Les systèmes deviennent situés dans le monde, et l’essentiel du potentiel de développement de leur intelligence et de leur pertinence combine le matériel pour « voir », « sentir », « agir » avec des services logiciels.
On a donc une tendance fondamentale à l’augmentation relative en valeur et en coût du logiciel.
C’est une manifestation de ce que l’on appelle parfois les sciences et techniques de l’immatériel. D’un point de vue économique, cela donne du sens à ce que l’on baptise aujourd’hui l’économie de la connaissance, où la production matérielle, de coût marginal décroissant, devient négligeable face aux coûts de conception, de gestion, de distribution, de redéfinition et d’optimisation incessante de la chaîne de valeur, de marketing et d’individualisation de la production. L’idée, la connaissance deviennent « instantanément » le produit ou le service, par une réalisation sous forme de service logiciel et un accès immédiat par l’utilisateur.
Un facteur clé dans ce type d’économie devient la productivité relative à la production de ces services immatériels, et singulièrement du logiciel. Il s’agit d’un enjeu stratégique majeur pour l’industrie du logiciel : augmenter la productivité de la production du logiciel. Des progrès sont accomplis, cela demeure néanmoins une des grandes questions, et une des grandes barrières à lever d’une économie basée sur une loi de Moore, archétype structurant de l’économie de la connaissance.
Moore’s Law and the Future of [Technology] Economy de Jean-Luc Dormoy est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage à l’Identique 3.0 non transposé.
Basé(e) sur une oeuvre à mooreslawblog.com.