C’est quoi l’innovation ?

Tout le monde parle d’innovation… Mais au fait c’est quoi l’innovation ?

Tout le monde parle d’innovation, c’est devenu la chose la plus importante, celle qui doit nous sauver du chômage, de la ruine économique, des malheurs de l’environnement. Mais qu’en est-il réellement ? Plus de chercheurs ? Plus de brevets ? La « réindustrialisation » ? Un engagement des Etats en faveur de la relance ? Des grandes entreprises ? Un soutien aux PMEs ?

En réalité pour la plupart, y compris la plupart des économistes, l’innovation demeure un mystère, une chose qui arrive d’on ne sait où, sans qu’on ait fait de réel effort ou pris de décision, sinon par des budgets et indicateurs habituellement considérés comme de troisième ordre « ah oui, la part de R&D dans le PIB, ah oui les brevets ».

Ce que nous souhaitons ici, c’est regrouper une communauté autour de l’idée que l’innovation est une activité organisée, structurée, et même en partie planifiable, en tous cas issue de décisions rationnelles et conscientes. Même plus, l’innovation ne devrait pas constituer une activité marginale, quand on a traité toutes les autres questions beaucoup plus importantes… Les deux heures par an « pour se détendre » consacrées par un grand décideur à ces doux rêveurs.

Le seul domaine qui ait connu à la fois une innovation et une croissance importantes depuis 50 ans est celui des Technologies de l’Information. C’est l’Internet et le Web, bien sûr, qui sont ses enfants les plus visibles, mais nés dans le berceau qui a aussi donné l’ordinateur, la machine programmable, le logiciel, et les multiples services aussi bien aux entreprises, aux collectivités publiques qu’aux personnes.

Pourquoi cette exception ? Comment ce domaine des TI a-t-il pu se développer de façon aussi explosive quand d’autres, comme l’énergie, la construction ou les transports, par exemple, vivaient une relative léthargie ?

Le domaine des TI a un ressort économique interne : la loi de Moore. Gordon Moore, un des cofondateurs d’Intel, a « prédit » en 1965 que le nombre de transistors disponibles par unité de surface, et par dollar, doublerait tous les 18 mois. Bien sûr cela n’a rien d’une loi de la nature : c’est devenu une loi économique, auto-réalisée par l’industrie qui a cru (de croître) parce qu’elle y a cru (de croire).

Là aussi, la vulgate traite (de loin, car la vulgate n’en sait pas grand chose) les TI comme « un domaine plein de bouleversements », « qui se fait dans les garages », « où les nouvelles sociétés sont créées par de jeunes étudiants sans moyens ». Jusqu’à la caricature où cela se résume à Hadopi et de méchants pirates.

Il y a une part de créativité destructrice qui permet à des sociétés majeures comme IBM, Intel, Microsoft, Apple, Cisco, Google, Facebook d’apparaître successivement, et pour certaines (DEC, presque IBM) de disparaître. Mais ce n’est pas le chaos sous nos pieds : depuis 50 ans, la loi de Moore rythme et fournit la base des paris industriels réussis.

Cela, c’est un des deux sujets que nous souhaitons développer sur ce site : au-delà des apparences, quels sont les ressorts économiques et humains profonds qui ont permis aux TI de connaître ce succès depuis 50 ans ? Quel est son avenir ? Et, mentionnons-le à nouveau, dans un contexte où l’innovation technologique dans les pays développés s’est ralentie, où l’économie industrielle est successivement passée du changement progressif et à petits pas de solutions existantes, à la gestion de la rente, rente qui est devenue décroissante par vieillissement des infrastructures et rétrécissement de la base industrielle et capable d’innovation, pour devenir une économie de dette, de bulles, d’échappatoires financières illusoires et destructrices.

Les articles de ce premier sujet seront regroupés dans la catégorie « Moore’s Law in IT« .

Pourquoi en est-il ainsi ? Les besoins humains sont-ils satisfaits ? On a d’un côté les pays émergents, voire émergés, qui fort heureusement trouvent le chemin pour rattraper les pays développés et de façon indépendante mènent à marche forcée bien que quelquefois chaotique leurs peuples à la satisfaction de besoins de base (y compris intellectuels et de culture); souhaitons que les pays en développement, et notamment l’Afrique, sachent prendre le même chemin. Mais on a aussi un appauvrissement d’une partie de la population dans les pays développés, des choses que l’on croyait acquises ou du passé remises en cause, comme la recrudescence de certaines maladies ou des sans abri, un accroissement de la pauvreté. Et on a les grandes questions d’environnement, le réchauffement climatique, les atteintes à la biodiversité peut-être encore plus rapides et plus graves. Si l’on considère le domaine de l’énergie, les besoins sont là de façon criante pour disposer de moyens de production qui à la fois satisfassent les besoins de 7 milliards d’êtres humains, et ne détruisent pas notre environnement. Nous avons besoin d’une « transition énergétique ».

Oui mais voilà la R&D mondiale consacrée aujourd’hui à l’énergie tourne autour de 16 milliards de dollars (financements d’Etat et financements privés réunis). Est-ce beaucoup ? Par rapport au PIB mondial cela représente 3 pour 10 000. Pas grand chose. Dans le même temps, la R&D en TI représente autour de 320 milliards de dollars. Soit 20 fois plus…

Pourquoi ? Parce que la nature humaine, futile et peu prévoyante, préfère investir dans les apps pour téléphones portables plutôt que dans l’avenir des conditions de vie sur notre planète, et de celles encore déplorables de milliards de nos frères et soeurs humains ?

Non, la raison, c’est la loi de Moore. Car doubler la puissance de calcul à coût constant environ tous les 18 mois, et ce de façon soutenue depuis 50 ans, ne se fait pas « tout seul », « par miracle », en investissant quelques millions ici ou là dans de la recherche qu’on oublie ensuite fort vite. Cela est maîtrisé dans les décisions prises au coeur de l’industrie, et tout « l’écosystème », c’est-à-dire toute la chaîne des fournisseurs et utilisateurs de la technologie qui invente de nouveaux produits et services, sait – en réalité croît, mais à juste titre – que cette « loi » va continuer.

Mais alors pourquoi n’y aurait-il pas une loi de Moore pour d’autres domaines que les TI ? Les TI sont-elles si particulières qu’elles seules peuvent en supporter une ? Est-ce un accident, une bizarrerie, qui ne saurait se reproduire ?

C’est le second sujet que nous souhaitons développer au fur et à mesure des publications sur ce blog, regroupées dans la catégorie « Moore’s Law Structure and Dynamics« . Nous n’avons pas de réponses toutes faites. Une loi de Moore, cela ne se décide pas seul, déjà lorsque Gordon Moore a publié son article, il a remarqué que la loi de Moore était respectée par l’industrie naissante de l’époque. Ensuite, c’est le travail de milliers d’ingénieurs, de financiers (qui investissent dans l’innovation et « l’économie réelle ») et de créateurs qui permet d’établir la loi de Moore, jusqu’à devenir exprimée et suivie consciemment par toute l’industrie.

Finalement, il se pourrait bien que la découverte majeure des technologies de l’information soit la loi de Moore elle-même.

Ces idées commencent à émerger en plusieurs points de la planète. Ray Kurzweil et les gens de l’Université de la Singularité, par exemple, insistent sur les technologies exponentielles. Ils y voient une possibilité d’atteindre ce qu’ils appellent une singularité, c’est-à-dire un moment où l’évolution technologique conduit l’être humain à se dépasser ou être dépassé. Mais en-deça de cette prospective futuriste, il s’agit bien d’accumuler les preuves de technologies exponentielles, et d’examiner comment cela peut nous servir à résoudre nos problèmes, comme dans le récent livre Abundance de Diamandis et Kotler.

Un « frémissement » autour de ces idées est donc en cours. Mais constater que des technologies sont exponentielles, comme si elles étaient des lois naturelles ou sociologiques, ne constitue que le terreau pour les premiers balbutiements de lois de Moore. Celle des TI n’est plus constatée depuis longtemps, elle est décidée et au coeur des cycles financiers et industriels des TI.

Une loi de Moore opère dans un domaine économique une sorte de révolution galiléenne. Ce n’est pas l’état économique (du marché, de la production, de la population au travail, des compétences, de la technologie…) qui est la substance première, c’est le changement. Le changement ne réclame pas qu’on subisse ou se lamente face à un « mur des investissements » comme aujourd’hui dans les pays développés face aux infrastructures vieillissantes, par exemple; on était arrêté, il va falloir repartir, quelle peine ! Avec une loi de Moore, le mouvement devient un état. C’est l’accélération du mouvement qui peut réclamer des efforts particuliers.

Une Loi de Moore généralisée, c’est une toute autre vision de l’économie.

Les conséquences sont formidables dans tous les domaines de la vie sociale et en société. Par exemple, l’emploi ne peut plus être caractérisé par des fonctions stables sur de longues durées au sein d’un processus productif cyclique et lui-même stable. La personne, qui vit désormais beaucoup plus longtemps que les cycles économiques et technologiques « longs », change d’emploi, et elle doit être aidée à établir ses nouvelles compétences indispensables pour suivre et même précéder le mouvement. Car une économie qui ne fait que jeter ceux qui ne sont plus aptes pour puiser dans un réservoir de compétences « miraculeusement » disponibles (les ingénieurs informaticiens en Inde) ou à bas coût n’est certainement pas « soutenable » comme on dit lorsqu’il s’agit d’écologie. Même si l’on oublie l’élément humain, il faut payer pour disposer des compétences en perpétuel changement. Cela même doit faire partie de la loi de Moore.

D’ailleurs l’innovation technologique peut y aider considérablement, pour la formation au cours de la vie, comme pour la nature même des activités économiques, qui peuvent redevenir « artisanales » mais à marché potentiel mondial en s’appuyant sur les technologies Do-It-Yourself en expansion, qui ne réclament pas de grandes organisations. Cela en parallèle de changements de fond dans la production (le « manufacturing ») où les usines deviennent de plus en plus des « imprimantes 3D » intelligentes et fortement automatisées; l’emploi n’y est plus dans la fourniture de « bras » déqualifiés au service des machines et des cycles productifs répétés, mais dans ce que l’on peut inventer comme nouveau produit plus innovant et moins cher – et ce n’est pas qu’un travail de « bac+5 ».

Nous sommes convaincus que ces questions seront au centre des solutions permettant de poursuivre la saga humaine, ou au moins des solutions aux crises que nous traversons. Mais il ne s’agit pas de « penser » seul dans une tour d’ivoire une nouvelle « théorie ». Il s’agit de mobiliser aussi bien dans l’approfondissement des idées que dans leur mise en oeuvre.

Bien sûr, même si ce blog n’entend pas avoir la polémique en son centre, cela n’est pas, et est même l’inverse, de « solutions » visant à la décroissance, à la fermeture sur soi, à l’exclusion, ou à d’autres mouvements peu amènes mais florissants en ces temps de crise et de désorientation.

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Moore’s Law and the Future of [Technology] Economy de Jean-Luc Dormoy est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage à l’Identique 3.0 non transposé.
Basé(e) sur une oeuvre à mooreslawblog.com.