Grands thèmes de ce blog

Ce « blog » n’en est pas vraiment un, c’est un vecteur pour apporter de l’information et surtout de la réflexion sur le rôle majeur que l’innovation devrait avoir au cœur de l’économie. Cela entre de façon évidente en résonance avec l’actualité. De nombreux blogs traitent « des crises », et en premier lieu des crises financière, économique, sociale, environnementale, politique… On y montre surtout les impasses d’un « système » que des autorités à courte vue tentent de prolonger, conduisant à une aggravation des conditions de changement et d’amélioration.

Sans désavouer cet indispensable débat, nous voulons ici aborder trois lignes de réflexion le plus souvent absentes :

  • le moteur de la croissance de l’économie réelle, au service des hommes et des femmes qui la composent, dont un des ingrédients essentiels est l’innovation technologique
  • apporter des pistes de solutions plutôt que des démonstrations d’impasses
  • ne pas rester au niveau « méta économique » de grands équilibres ou plutôt déséquilibres désincarnés

Et bien sûr la piste principale est la possible généralisation économique de la loi de Moore aux autres domaines que les Technologies de l’Information.

Pour cela nous abordons trois thèmes :

  • ce qu’a été est est aujourd’hui l’économie des Technologies de l’Information; nous cherchons bien sûr les mouvements de fond, pas l’écume des annonces d’un domaine par ailleurs vibrant; et surtout comment le « battement » de la loi de Moore structure son économie toute particulière dans le contexte actuel (puisqu’en forte croissance !).
  • ce que sera demain le rôle de l’information dans la technologie; les circuits intégrés à base de silicium ne sont en effet pas l’unique avatar futur des sciences de l’information et de leurs applications, loin de là; on verra l’information pénétrer la matière, l’énergie, le vivant, la psychologie et la sociologie humaines.
  • enfin et surtout la découverte des ingrédients clés de la loi de Moore, pour débroussailler les conditions de son application à d’autres domaines. Pour instancier ces réflexions, nous tenterons d’aborder d’autres domaines, par exemple l’énergie. Mais nous examinerons aussi les conséquences dans les sphères sociales et environnementales d’une « économie de la loi de Moore ».

Les articles sur les trois thèmes sont publiés de façon entrecroisée. On peut reconstituer une logique linéaire en s’appuyant sur les catégories.

Quelques commentaires sur leurs articulations.

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Le projecteur porté sur les manifestations et les conséquences de la loi de Moore dans le domaine des technologies de l’information donne le sentiment que les principes sur lesquels elle s’appuie peuvent être généralisés et s’incarner dans d’autres domaines.

Le développement des technologies de l’information qu’elle a permis semble exhiber plusieurs caractéristiques intéressantes.

1/ Tout d’abord, la croissance du domaine est exponentielle en terme de capacité technique et forte en terme de valeur. L’augmentation de valeur est la traduction de la création et de l’expansion des marchés de services permises par la disponibilité de l’infrastructure à moindre coût.

2/ Cette croissance passe par une innovation intense, mais guidée sur son premier versant (celui de l’infrastructure) par une roadmap synthétisée par un critère simple et fournissant une relative assurance à ceux qui investissent dans la créativité sur le second versant (les services).

3/ On a donc un guide pour l’allocation de ressources financières, de temps et de compétences en vue de la création de marchés. Rien de tel n’a existé jusqu’à présent : nous évoquerons les étapes de mondialisation depuis le XVème Siècle, où la croissance était guidée par l’expansion territoriale et l’établissement d’une domination coloniale, puis impériale ; les cycles d’accumulation du capital à travers les révolutions industrielles successives des XIXème et XXème Siècles ; la fusion du capital industriel et du capital bancaire dans le capital financier, jusqu’aux avatars actuels de la financiarisation.

La particularité de la loi de Moore est que les ressources en capital produites par l’expansion extrêmement profitable des marchés sont réinvesties en avance de phase dès le cycle courant vers le suivant à travers l’innovation sur les infrastructures, et ce sans sortir de la compétence des industriels responsables de la loi de Moore et sans attendre l’épuisement ni même l’établissement d’une rente.

Imaginons que ces revenus passent par les mains de financiers « généralistes », ou même spécialisés dans les technologies de l’information, mais qui auraient droit de décision pour investir dans le cycle suivant. Il est certain que la mécanique serait ralentie, sinon cassée. Il faut en effet avoir le ressort de la compétence technologique sur les deux versants de la loi de Moore pour continuer de parier sur chaque cycle avec la confiance de l’expertise et de la connaissance de tout l’écosystème. Il est en outre indispensable que les ressources d’un cycle ne soient pas diverties à autre chose que l’investissement technologique préparant le cycle suivant.

En outre, les décisions sont prises à temps, c’est-à-dire de façon simultanée entre infrastructure et services, et sans « prélèvement » de la sphère financière, qui détourne à son profit les investissements qui auraient dû être consacrés à la R&D.

Si loi de Moore ne s’avère pas une singularité historique appelée à s’éteindre dans la décennie à venir (lorsque l’on aura atteint une de ses limites redoutées, par exemple le niveau atomique pour la miniaturisation des transistors), et si l’on peut trouver d’autres lois de Moore dans d’autres domaines, alors on a un guide pour systématiser l’innovation, et maîtriser dans une certaine mesure une croissance contrôlée s’appuyant sur le progrès technologique.

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L’autre ligne de force de l’analyse des Technologies de l’Information concerne l’invasion de l’information programmable dans le monde physique et dans la société humaine ; son gigantisme dans les supercomputers ou les centres de calcul sur l’Internet ; sa pénétration de l’espace, autour de nous, jusque dans le très proche et le très petit ; sa présence permanente. Taille, espace, temps, toutes les dimensions sont occupées.

Nous étant arrêtés au présent (2012) dans cette analyse, nous essaierons de pousser cette évolution vers le futur, pour constater qu’elle est loin d’être terminée. En changeant de support (« après silicium ») l’information programmable va pénétrer la matière, elle va contrôler l’énergie. La vie commence à être vue comme une affaire de traitement de l’information, où les gènes jouent le rôle de software, et la cellule de hardware et d’entrées-sorties avec l’environnement ; où la cellule devient une machine programmable susceptible de constituer une usine au sein de la matière, par exemple pour fournir des matériaux innovants ou des moyens de production d’énergie s’émancipant des dégâts possibles de la combustion d’hydrocarbures. En outre, cela tendra à rendre les cycles de production et de consommation renouvelables, s’émancipant des ressources non renouvelables multiples (pas seulement le pétrole, le gaz ou le charbon) que l’humanité utilise aujourd’hui. Correctement orienté, il s’agit d’un progrès considérable, remplaçant de nombreuses couches technologiques héritées de l’histoire et même de la préhistoire. Cela fournit des moyens pour maîtriser l’intégration harmonieuse des cycles humain et naturel.

Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de progrès à attendre d’autres domaines scientifiques ou technologiques, bien au contraire. Mais l’information programmable n’a pas encore « tout donné », elle n’en est même probablement qu’à ses débuts.

Ray Kurzweil parle ainsi de « la seconde partie de l’échiquier ». Il fait mention à la fameuse histoire du philosophe et du roi, ce dernier souhaitant récompenser le premier pour ses services. La philosophe demande de remplir un échiquier de 64 cases de grains de riz, en suivant la progression suivante : un grain de riz sur la première case, deux grains de riz sur la seconde, 4 grains de riz sur la troisième, et ainsi de suite en doublant le nombre de grains de riz d’une case à la suivante.

Le roi, peu familier des phénomènes exponentiels, ne se rend pas compte du désastre auquel il s’engage, et accepte. C’est que la quantité de riz à placer sur l’échiquier recouvrirait l’ensemble de la planète d’une couche de un mètre d’épaisseur, ce qui est bien sûr impossible.

Mais Ray Kurzweil attire l’attention sur ce qu’il se passe lorsque l’on rentre dans la seconde partie de l’échiquier, à partir de la 33ème case. La quantité de riz à placer sur la première partie, les 32 premières cases, équivaut à la production d’un champ raisonnable. C’est beaucoup, et déjà une belle récompense, mais tant que l’on est à ce stade, la roi reste roi et le philosophe un de ses sujets. L’ordre du monde est par contre bouleversé lorsque l’on rentre dans la seconde moitié.

Pour Ray Kurzweil, et son hypothèse de singularité, c’est ce qui en passe de se produite maintenant avec la technologie. Par exemple, le développement de l’intelligence artificielle va entamer une phase décisive, et des machines intelligentes apparaître. Les voitures automatiques ou le système Watson d’IBM ayant gagné le jeu Jeopardy! en constituent une préfiguration.

A la question « la loi de Moore pour les technologies de l’information va-t-elle s’arrêter ? », la question est évidemment « oui » sur le long terme, puisqu’une loi exponentielle ne saurait continuer indéfiniment, c’est l’argument classique d’un phénomène « infini » face à des ressources « finies » ; mais probablement non sur le court ou le moyen terme, c’est le contre-argument du changement de paradigme tecbnique. Elle va prendre une autre forme, et ne sera plus basée sur le nombre de transistors par unité de surface sur une puce 2D en silicium.

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Le troisième grand sujet que nous souhaitons discuter concerne la maîtrise et les conséquences pour la société humaine d’une systématisation de l’innovation.

L’évolution technologique est perçue par certains en relation conflictuelle avec des questions sociétales, les deux principales étant au sujet du travail, et au sujet de l’environnement et de la relation à la nature. Les sciences et la technologie sont finalement mises dans le même panier que « la finance, la mondialisation, l’économie », étant sous-entendu que cela est supposé constituer un panier peu ragoûtant. Nous analysons ces questions, et défendons un point de vue différent, en montrant comment l’innovation technologique constitue à l’inverse un ingrédient indispensable à la mise en œuvre de solutions. Nous essayons d’être pragmatiques, et notamment de souligner la difficulté qu’il y a pour les organisations humaines comme pour les individus, à la durée de vie désormais suffisamment longue pour vivre plusieurs évolutions technologiques ou historiques majeures, de s’adapter à un changement permanent. La prise en compte de ce changement en faisant appel au cœur des grandes organisations à l’intelligence et à la formation est sans doute un élément clé de l’avenir.

Nous sommes confrontés à des défis où tous les grands domaines de satisfaction des besoins humains doivent être revisités, et nous examinons certains de ces grands domaines : énergie et matériaux, habitat et mobilité. Ni la planification dans les moindres détails, ni une quelconque « main invisible » sans fond de pensée commun ne parviendra à surmonter les défis. Nous étayons l’hypothèse que de nouvelles lois de Moore pourraient constituer le moyen de donner son potentiel à l’innovation tout en la maîtrisant.

Nous évoquons enfin rapidement la singularité déjà mentionnée prédisant une accélération de l’innovation technologique, jusqu’à atteindre une singularité, c’est-à-dire un rythme d’innovation pratiquement infini. Comme l’infini actuel est difficile à imaginer, particulièrement en cette matière, l’interprétation commune de cette singularité est que l’être humain se change, soit lui-même, soit en symbiose avec les machines qu’il a créées. Il s’agit du transhumanisme, où un nouvel être humain – ou non humain – va apparaître et supplanter Homo Sapiens Sapiens.

L’homme a déjà considérablement transformé ses conditions d’existence, et s’est transformé dans une certaine mesure – vivre 80 ans au lieu de 20 constitue bien une transformation phénoménale. Il continuera donc de le faire. S’y opposer par principe constitue tout autant que la position inverse un déni de choix aux êtres humains actuels – ceux qui vivent aujourd’hui, et leurs enfants demain.

Mais à notre sens, cette vision, comme d’ailleurs les visions opposées condamnant l’innovation technologique, est exprimée de façon élitiste, sans considération du fait que ce sont in fine les êtres humains qui font leur histoire. Et quand nous disons les êtres humains, nous n’entendons pas quelques leaders ou avant gardes ; non plus que les « masses », dont plus personne ne parle d’ailleurs en ces termes ; non, nous entendons la société humaine et chaque être humain y participant. Le cœur de l’évolution technologique, industrielle et sociale est qu’elle est adoptée par des millions, des milliards d’êtres humains, et que seulement ainsi elle existe. Une innovation technologique réussie, c’est une innovation qui devient connaissance pour tous – en sus de constituer une pratique et des savoir-faire. Bien sûr cela ne se déroule pas toujours dans la douceur. Mais au fond c’est là le ressort principal de l’arrivée sur la scène des peuples « majeurs » de pays jusqu’alors considérés comme secondaires ou « en développement » : ils prennent leur sort en main.

Et c’est bien ce que nous souhaitons faire.

Ray Kurzweil. The singularity is near. When humans transcend biology. Penguin Books, 2006.

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Moore’s Law and the Future of [Technology] Economy de Jean-Luc Dormoy est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage à l’Identique 3.0 non transposé.
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