Les services « Me »
par Jean-Luc Dormoy
Description
D’après la roadmap d’ITEA, un service Me constitue « une entité individuelle (personne, appareil ou machine) atteignant et contrôlant ses buts individuels, et offrant des services à d’autres, ou utilisant les services d’autres. »
On considère donc une société mélangeant les agents individuels humains et digitaux. Chaque Me a une identité, qui va être une représentation digitale plus ou moins sophistiquée de son être. Cette représentation peut lui servir à lui-même – il se connaît dans une certaine mesure – et il peut ouvrir plus ou moins cette identité à d’autres.
Un ensemble d’agents (de Mes) peut agir comme une entité autonome vis-à-vis de l’extérieur. Par exemple une entreprise est une personne morale, ou une voiture agit vis-à-vis des autres voitures, des services de régulation de trafic, de l’infrastructure routière, de son conducteur, etc., comme un Me, alors qu’elle est elle-même composée d’agents plus ou moins autonomes – par exemple le système d’ABS, de contrôle des airbags, d’évitement d’accident. Un service Group ou Society peut aussi utiliser un service de personnalisation à destination d’un Me.
Le degré d’autonomie d’un service Me est plus ou moins fort, ainsi que sa capacité à fixer ses propres buts. Il peut servir de mandataire à un autre agent, par exemple un service digital ou un avatar proxy d’un utilisateur – dans ce cas on aura tendance par raccourci à identifier le mandataire et le mandant. Il peut constituer une image miroir virtuelle d’une personne humaine. Un robot peut constituer un agent autonome, ou un softbot conduisant à votre compte des achats. Un capteur sanguin avec des capacités d’analyse, d’alerte et de communication en est un autre exemple. Il peut rejoindre un Group – par exemple d’agents de santé – pour ses buts.
Aujourd’hui, un agent autonome non humain appartient à quelqu’un. Définir un service Me, quel que soit son degré d’autonomie, c’est donc avant tout interagir avec la ou les personnes auxquelles il est destiné. Il peut le faire à travers une interface de type télévision, PC ou écran de voiture, à travers un mobile, ou à travers des objets digitaux. Ces différentes interfaces imposent plus ou moins de contraintes sur le lieu, les conditions de l’interaction, et surtout la mobilisation de la personne. Le graal est de pouvoir interagir en s’insérant dans l’activité « normale », sans demander une attention particulière, sans faire de l’interaction une tâche en soi.
La question des limites de l’action d’un agent autonome est également posée. Asimov avec ses trois lois de la robotique l’avait explorée, on voit aujourd’hui les conséquences d’un contrôle défaillant d’un agent digital : logiciels de trading à la bourse provoquant des mouvements brutaux; ou agents « volontairement » malveillants, comme les virus et les chevaux de Troie. Ces questions (sécurité, sûreté) sont fondamentales, et nous nous contentons de les effleurer ici.
Un service Me a donc une identité définissant qui il est intrinsèquement et vis-à-vis des autres. Cette identité, particulièrement pour un être humain, peut être d’une richesse et d’une complexité dont nous ne percevons pas les limites. Cela peut contenir une représentation de son passé – ses actions, ses souvenirs, ses souhaits et émotions – de son état présent, de ses préférences, souhaits et objectifs, un modèle de sa psychologie, de son comportement, de ses connaissances, etc. En un sens, l’identité d’un Me est le « moi virtuel » correspondant à ce Me réel. Que cela ne paraisse pas démesuré au lecteur, des expériences sont ainsi conduites pour capturer les premiers mois ou années de vie d’un enfant. Un autre exemple d’agent d’identité plus anecdotique a noté que vous avez regardé le film Le Dictateur dans l’avion jusqu’à la scène du globe terrestre, et que cette identité virtuelle et le service Me correspondant, votre proxy, est capable d’indiquer au système vidéo de l’hôtel où vous verrez d’arriver que vous aimeriez regarder la suite. Un autre exemple, déjà commercialisé, est celui de la tombe digitale, qui expose l’identité du défunt au-delà d’une inscription et d’une épitaphe – c’est cette partie de votre identité que vous souhaiterez laisser comme mémoire.
Cette identité peut être partiellement ou complètement transmise ou non à d’autres, et peut l’être de façon exacte ou erronée, de façon volontaire ou non. Les services d’identification, d’autorisation et d’authentification sont donc clés.
La gestion des préférences, des souhaits, des buts constitue un autre aspect fondamental d’un service Me. De même la compréhension et la représentation du contexte, et notamment des autres services dans l’environnement, ainsi que des possibilités d’interaction faisant sens, est essentielle. Cela inclut les autres personnes, qu’elles possèdent ou non un ou plusieurs Mes digitaux.
Exemples en relation avec quelques objectifs sociétaux
Santé : Se développent les services de maintien de la bonne forme, par exemple liés à l’activité physique; des services de surveillance et de diagnostic précoce, chez soi ou à distance; des services d’aide au suivi d’un traitement d’une affection chronique évitant des déplacements vers les services de santé, et améliorant le suivi; des services de conseil personnalisé; des services d’assistance à domicile ou dans les activités pour les personnes handicapées. Ces services connaîtront probablement un développement important, en résonnance notamment avec les questions de financement des systèmes de santé.
Ils permettent aussi à la personne de suivre ses paramètres de « bonne vie », de bien être, on pourrait parler de savoir-être.
Population âgée : Services de maintien dans un environnement personnel, d’autonomie, avec un relationnel chaleureux et en confiance. Comme les services de santé, le vieillissement de la population et les questions de financement ouvrent des perspectives de développement formidables pour ces services. L’adaptation des services à un environnement cognitif, affectif qui peut être difficile constitue un défi.
Ville intelligente : Tous les services de transport, d’énergie, d’environnement, de communication, de sécurité. Un must est par exemple le système d’information sur le trafic, généralisé dans le système de transport multimodal. L’idée est de fournir en temps réel à chacun l’information sur les possibilités de déplacement, la place de parking proche disponible, etc. L’aspect multimodal permet de combiner transports en commun, taxi, voiture individuelle ou deux roues, vélo, marche à pied… Combiné à un système de location de véhicule de courte durée, l’utilisateur demande alors de planifier un trajet, et attend que le service mette à sa disposition la meilleure combinaison de moyens de transports selon ses préférences – temps, coût, environnement…
Energie et environnement : Un service Me d’efficacité énergétique personnalisé devrait devenir la norme. Il y a bien sûr un volet d’automatisation car la personne ne souhaite probablement pas être mobilisée pour des choses qui devraient « marcher toutes seules »; mais l’interaction, y compris émotionnelle, est clé. A cela s’ajoute le déploiement de la production décentralisée (solaire photovoltaïque par exemple), du stockage énergétique (réel par exemple par batteries ou virtuel par action sur les appareils consommateurs) et l’utilisation de véhicules hybrides rechargeables ou électriques. Ces services devront être connectés à des services Group ou Society mutualisant la gestion énergétique personnelle avec celle de ses « voisins », voire de l’ensemble du système énergétique.
Information et connaissance : L’accès à l’information et à la connaissance devient beaucoup plus facile et moins cher avec l’Internet et le Web. On trouve par exemple les cours des meilleures universités mondiales gratuitement, ce dont se servent les étudiants peu fortunés, notamment dans les pays émergents. En outre chacun peut contribuer à cette diffusion des connaissances par les systèmes pair à pair, les blogs, les encyclopédies participatives comme Wikipédia. Les questions clés sont de s’y retrouver dans cette abondance d’information, et de juger de leur qualité. Bien sûr ces évolutions provoquent des changements de business models drastiques par exemple pour la presse, demain l’édition. En outre, les agents d’information et de connaissance vont connaître une concurrence effrénée pour accéder à la plus rare des ressources : l’attention de l’utilisateur.
Sécurité et sûreté, confiance : Un élément clé dans le domaine Me est celui du contrôle et de la protection de la vie privée. Que ce soit volontaire ou non, chacun laisse désormais une trace digitale de plus en plus significative. Cette hypertrophie des données personnelles constitue bien sûr la base pour de nouveaux services, mais ceux-ci ne verront pas le jour s’ils ne sont pas capables de gagner la confiance des utilisateurs. La sûreté de ces données (ne pas les perdre) et leur sécurité (ne pas se les faire voler ou corrompre) font aussi partie de ces questions. En outre, la sécurité physique des personnes, vis-à-vis d’autres personnes ou de systèmes digitalisés – voitures ou appareils de plus en plus autonomes – devient clé.
Globalisation : Au niveau personnel, la globalisation signifie une extension des possibilités d’interaction avec d’autres personnes autour du monde. Cela s’applique aux sphères des affaires et du travail, du tourisme, des migrations. Une première application générique à venir est un service de traduction entre les milliers de langues et dialectes pratiqués aujourd’hui dans le monde. Le web permet ensuite la mise en relation dans les trois grands contextes ci-dessus; citons par exemple la connaissance des prix du marché pour un petit producteur ou paysan, un site d’accès à des microfinancements entre personnes des pays émergents et des pays développés, l’accès à des agences de tourisme locales, à une connaissance des conditions de migration… Un enjeu est la pénétration et la simplicité d’utilisation de ces services pour l’ensemble de la population humaine; il y a 5 milliards de téléphones portables en fonctionnement en 2010.
Grandes tendances
Une première tendance est bien sûr l’universalisation de l’accès aux services : partout, à tout moment, lors de chaque activité, pour chacun – et donc à un prix de plus en plus bas. Une condition éternelle est bien sûr que les services recoupent les aspirations, goûts, motivations des utilisateurs.
Ils doivent être faciles à utiliser, bien au-delà des « geeks » ou passionnés de technologie. Ils doivent notamment permettre de comprendre et dominer les croisements entre mondes virtuels et monde réel. Par exemple ils doivent permettre l’interaction avec le monde virtuel à travers des objets physiques simples et bien connus, et des métaphores intuitives; à l’inverse ils étendent l’interaction avec le monde réel en fournissant de l’information sur ce que l’on y perçoit, par exemple un service portable qui vous indique quel monument, tableau, animal, etc., vous regardez. Les services digitaux sont donc un intermédiaire, un interprète des objets réels et virtuels.
On verra probablement apparaître de plus en plus de services auquel l’utilisateur délègue un certain nombre de tâches. Cela recouvre par exemple des véhicules plus autonomes, des robots de service (aujourd’hui des aspirateurs), des softbots (des robots logiciels) de négociation commerciale ou d’achat, particulièrement face à la multiplication des offres marketing.
Moore’s Law and the Future of [Technology] Economy de Jean-Luc Dormoy est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage à l’Identique 3.0 non transposé.
Basé(e) sur une oeuvre à mooreslawblog.com.